Neuroimagerie en population

De grandes bases d’images pour comprendre la variabilité du cerveau et différencier le normal du pathologique

 

Le développement, la maturation et le vieillissement cérébral sont sous l’influence de très nombreux facteurs aussi bien génétiques, qu’environnementaux, dont l’éducation, l’alimentation, le style de vie, les activités physiques et intellectuelles, ainsi que les incidents et maladies survenant au décours de la vie. De ce fait, la morphologie et l’architecture fonctionnelle du cerveau présente au niveau macroscopique une très grande variabilité entre les individus. La recherche sur les facteurs de cette variabilité n’a réellement débuté qu’il y a une trentaine d’années avec l’avènement des techniques d’imagerie cérébrale pouvant être utilisée chez le témoin volontaire sain (IRM), et la mise en œuvre d’une approche méthodologique particulière, appelée neuroimagerie en population, qui consiste à collecter et analyser des bases de données contenant à la fois des images cérébrales, des données sociodémographiques, génétiques, biologiques et cliniques, acquises chez de grands échantillons d’individus.

La neuroimagerie en population, qui vise donc à identifier les différentes sources potentielles de la variabilité du cerveau et à mesurer la taille de leurs effets et leurs interactions, est un domaine de recherche dont les apports sont importants aussi bien du point de vue cognitif, sociétal, que médical. Au plan cognitif, la recherche et nos connaissances sur les facteurs de variabilité du cerveau restent parcellaires et dépendantes d’une approche méthodologique particulière qui n’a pas encore aujourd’hui totalement défini son cadre conceptuel et ses outils technologiques. Sur le plan sociétal, la neuroimagerie en population a un rôle important à jouer face aux nombreux questionnements et préjugés qui suscite des débats particulièrement animés concernant le rapport entre cerveau et pensée, les rôles respectifs des gènes et de l’environnement sur la morphologie, l’organisation, l’architecture fonctionnelle et les performances de notre cerveau, sur l’existence ou non d’un cerveau sexué, sur les différences entre gauchers et droitiers, etc.… Enfin, comprendre ce qui est à la source de la variabilité cérébrale et quantifier les limites de sa « normalité » sont bien sur fondamentaux pour progresser sur la définition, le diagnostic et la mise au point de nouvelles approches thérapeutiques des maladies cérébrales.

 

Grâce au études de neuroimagerie en population possédant un suivi longitudinal de leurs participants, il est aujourd’hui possible de mesurer pour chacun d’entre eux l’évolution du volume de structures cérébrales cibles. Le graphe ci-dessus illustre l’accélération avec l’âge du taux annualisé d’atrophie de substance grise mesuré au niveau de l’hippocampe (structure cérébrale interne impliquée notamment dans les mécanismes de la mémoire) chez 1172 participants de l’étude IRM-3-Cités. La figure sur la droite montre que cette accélération est spécifique de l’hippocampe et que le taux d’atrophie des autres structures cérébrales ne varie pas avec l’âge des participants.

 

Un domaine de recherche où la multidisciplinarité est la règle et la collaboration internationale au sein de grands consortia une nécessité

De par son objet d’étude, les sources potentielles de variabilité du cerveau, et le caractère multimodal des bases de données à constituer et exploiter, la neuroimagerie en population ne peut être que multidisciplinaire. Neuroimagerie, épidémiologie, neurosciences cognitives, neuropsychologie, génétique, neurologie, psychiatrie, biostatistiques, sont les disciplines principales qui sont en règle générale impliquées dans un projet de neuroimagerie en population. L’étude IRM-3-Cités a par exemple fait intervenir des neurologues, des épidémiologistes et spécialistes d’imagerie pour définir le protocole de l’étude, des médecins et infirmiers pour assurer le recrutement des participants et les prélèvements biologiques, des neuropsychologues pour les tests psychométriques, des radiologies et manipulateurs de radiologie, des informaticiens, et des spécialistes du traitement du signal pour l’acquisition et le traitement des images IRM, des biostatisticiens et généticiens pour l’analyse des données et variables extraites de ces IRM.

Une autre caractéristique du domaine est le haut degré de collaboration internationale entre équipes. Cette caractéristique provient de la nécessité de constituer de très grands échantillons afin de pouvoir détecter et quantifier les effets de taille réduite de certains facteurs de variabilité. En effet, les multiples facteurs influençant la morphologie et l’organisation fonctionnelle du cerveau ont de faible voire très faible effets dont la mesure reproductible dans une image de cerveau contenant plusieurs centaines de milliers de voxels nécessite un échantillon de plusieurs centaines, milliers, voire dizaines de milliers d’individus. Dans ce cas, aussi bien pour des raisons budgétaires que de faisabilité dans le temps, il est indispensable que de nombreux laboratoires contribuent simultanément à la constitution d’une « base de base de données », permettant de réaliser des méta-analyses. Cette mise en commun pose de nombreux problèmes pratiques et se fait dans la pratique au sein d’un consortium, structure informelle mais opérationnelle qui va assurer le pilotage du projet collaboratif, notamment la standardisation des données et du protocole d’analyse de celles-ci, la circulation des résultats et l’écriture d’articles signés par le collectif.

 

Le GIN-IMN une équipe pionnière et active dans la neuroimagerie en population

Le GIN a été parmi les premières équipes dans le monde à investir le domaine de la neuroimagerie en population, grâce en particulier à une collaboration établie dès le milieu des années 1990 avec Christophe Tzourio de l’équipe INSERM de neuroépidémiologie de la Salpétrière, dirigée alors par Annick Alpérovitch, et focalisée sur l’épidémiologie du vieillissement cérébral et des pathologies associées (AVC et maladie d’Alzheimer, notamment). Cette collaboration a débutée avec la mise en place et l’analyse d’un protocole IRM chez 900 participants de l’enquête EVA réalisée à Nantes, et celles de l’étude multicentrique PROGRESS-IRM. Elle s’est poursuivie par l’étude IRM-3-Cités, protocole longitudinal chez 5000 sujets dont l’analyse des données est toujours en cours. Grâce à la relocalisation simultanée à Bordeaux en 2011 du GIN et de l’unité de Christophe Tzourio, cette collaboration s’est encore intensifiée notamment avec MRi-Share, protocole de neuroimagerie portant sur un échantillon de 2000 étudiants de l’Université de Bordeaux, ainsi qu’avec le projet ADWA, qui vise à détecter les anomalies précoces de la substance blanche et à mesurer leur impact sur la connectivité cérébrale.

La figure de gauche illustre sur une cohorte de 750 sujets sains âgés issus de l’enquête EVA, que des sujets homozygotes pour l’allèle e4 présentaient une atrophie de l’hippocampe précoce, prédictive d’un déclin cognitif sévère, mesuré 7 ans plus tard. À l’inverse, aucune différence n’a été observée entre les sujets hétérozygotes et non porteurs de cet allèle, suggérant que l’impact d’un seul allèle e4 sur l’hippocampe est retardé dans le temps. La figure de droite, présente un graphe de Manhattan illustrant l’association pangénomique du volume de l’hippocampe réalisée au sein du consortium CHARGE incluant 9,234 participants âgés. La probabilité d’association est ici donnée en fonction de la position de tous les loci testés sur l’ensemble du génome et montre que les variants géniques associés à la réduction du volume de l’hippocampe concernent des gènes intervenant dans l’apoptose (HRK), le développement embryonnaire (WIF1) ou encore le stress oxydatif (MSR3B).

 

Le GIN-IMN est membre de deux consortia internationaux particulièrement actifs, CHARGE (coordonné par Sudha Seshadri, Boston University) et ENIGMA (coordonné par Paul Thompson, University of Southern California), qui par ailleurs ont déjà réalisé des travaux en commun pour augmenter encore la puissance statistique que procure un échantillon total de près de 40 000 participants. Cette contrainte de taille d’échantillon et de puissance statistique est également la justification première de la UK Biobank imaging study (coordonnée par Paul Mattews, Imperial College, London), qui est le plus important projet de neuroimagerie en population jamais entrepris puisque portant à terme sur 100 000 individus pour un cout de 43 M£).

Cette approche de neuroimagerie en population est également au cœur du projet européen MULTI-LATERAL coordonné par Clyde Francks (Max Planck Institute, NL) et dont le GIN-IMN est partenaire, visant à identifier les déterminants anatomiques, fonctionnels et génétiques de la latéralisation cérébrale chez l’homme pour les fonctions langagières. Au sein de ce consortium, plus de 15 000 IRM de sujets appartenant aux cohortes UK-Biobank, MRI-share et BIG (COGNOMICS project, Donders Institute, NL) seront analysées par le GIN-IMN en vue d’association avec leur profils génétiques.

Hors du cadre de cette recherche en neuroimagerie épidémiologique, le GIN-IMN a également développé des approches par neuroimagerie en population sur des questions de recherche qui lui sont propres et tout particulièrement celle de la spécialisation hémisphérique. C’est pour cette dernière question que la base BIL&GIN a été conçue et acquise sur un échantillon de 453 individus dont 45% gauchers.